Mon
âme est rassasiée de malheur ; et ma vie est au bord de l’abîme (Ps 88,4)
NOTRE CRI...
POUR
LE RESPECT ABSOLU...
DE LA VIE HUMAINE
Message
de l’ASSEPB aux fidèles chrétiens et aux hommes de bonne volonté
PRÉAMBULE
1.
Nous, Archevêque et Évêques, membres de l’Assemblée Épiscopale Provinciale de
Bukavu, réunis à Butembo en session ordinaire du 16 au 23 mai 2015, avons fait
le tour des situations socio-pastorales de notre Province Ecclésiastique. Nous
avons particulièrement touché du doigt la profonde détresse des populations
meurtries par les violences qui sévissent en territoire et ville de Béni depuis
bientôt deux ans et qui vont s’intensifiant.
2. Déjà
à notre descente de l’avion à Butembo, le 16 mai dernier, les jeunes nous ont
exprimé tout leur désarroi : en effet depuis cinq ans, ils avaient programmé
d’organiser leur congrès interdiocésain qui n’a jamais eu lieu à cause de
l’insécurité. En outre, ils nous ont demandé d’être leurs porte-paroles auprès
des instances de décision tant nationales qu’internationales. Nous communions
aux souffrances de tant de frères et sœurs sacrifiés. Voilà pourquoi, après
avoir écouté, prié et réfléchi, nous parlons. Je crois et je parlerai, moi qui
ai beaucoup souffert, moi qui ai dit dans mon trouble : l’homme n’est que
mensonge (Ps 115,10-11).
A.
QU’AVONS-NOUS VU ET ENTENDU ? Faits et réalités
Si
je sors dans la campagne, voici les victimes de l’épée.
Si
je rentre dans la ville voici des torturés de la faim (Jr 14,18ab).
3.
Depuis plus de vingt ans, les populations de l’Est de la R.D. Congo,
spécialement celles des Provinces du Nord et Sud Kivu, sont victimes de guerres
et d’insécurité. En 2010, le bilan des victimes était chiffré à 6 millions de
morts sur l’ensemble du territoire national. Et la série continue, spécialement
dans les territoires de l’Est.
4. Pour
rappel, les coupeurs de route entre Walungu et Kamituga, entre Bukavu et Uvira,
entre Uvira et Fizi, entre Butembo et Goma, entre Butembo et Kasindi étranglent
la population sur le plan économique. Nous déplorons les enlèvements contre
rançon, la tentative de kidnapping à Lulingu-Shabunda de Mgr Placide Lubamba,
évêque de Kasongo, le 12.05.2015. Nous sommes indignés par le silence autour
des trois pères assomptionnistes enlevés le 19.10.2012 à la paroisse N.D. des
Pauvres de Mbau, les pères Edmond Bamtupe Kisughu, Jean-Pierre Mumbere Ndulani
et Anselme Kakule Wasukundi : sont-ils encore vivants ou déjà morts ?
Pareillement, plus de 837 personnes ont été enlevées en territoire et ville de
Beni depuis 2010.
5. Nous
dénonçons les massacres de Mutarule-Uvira, survenus le 06.06.2014 avec 34 morts
; de Mukungwe-Bukavu, le 08.03.15 avec 8 tués dans le carré minier ; de
Mweso-Goma, le 25.02.2015, où l’abbé Jean-Paul Kakule a été assassiné; de
Ngadi-Beni, le 15 et le 16.10.2014 avec 32 morts ; de Tepiomba, Kinyamusege et
Vemba-Beni, le 21.11.2014 avec 82 personnes tuées par machettes et haches, sans
parler d’autres carnages survenus récemment dans la zone de Beni à Oicha, Ahili,
Manzanzaba, Apetina, Maisha Jembe, Mulolya, Musuku, Mabatutu, Mongomongo etc.
Les organisations de la Société Civile ont enregistré des massacres de plus de
419 personnes à Beni ville et territoire, entre octobre 2014 et mai 2015.
6. Ces
derniers temps, les violences y ont atteint une intensité intenable, proche de
la rupture. Chaque jour les tueurs imaginent et mettent en œuvre des pratiques
de plus en plus cruelles. Les innombrables groupes armés sont autant de
prédateurs qui continuent à se comporter en redoutables ennemis d’un peuple
laissé-pour-compte. Comme dans une jungle, ces malfaiteurs incendient des
villages en toute impunité, provoquant le déplacement massif de la population
vers les cités où elle est vouée à la famine et à la misère. Les criminels
tuent brutalement avec des machettes, des couteaux ou des haches : certaines de
leurs victimes ont la gorge tranchée, les bras de nombreux enfants sont
mutilés, des femmes enceintes éventrées et des familles entières sont décimées.
Ce sont des véritables actes génocidaires, des crimes de guerre et des crimes
contre l’humanité.
B.
QU’EN PENSONS-NOUS ? Enjeux et portée de la situation
Nous
espérions la paix et rien de bon ! le temps de la guérison : voici l’épouvante
(Jr 8,15)
7. Nous
essayons d’interpréter l’analyse de la population face à cette crise, en
considérant l’agir des bourreaux et celui du pouvoir politique comme celui de
la Communauté Internationale.
8. Du
côté des bourreaux, nous observons la mise en place d’une terreur d’épuration systématique
des personnes, d’une stratégie de déplacement forcé des populations en vue
d’occuper progressivement leurs terres et de l’installation des foyers
d’intégrisme religieux et des bases d’entraînement terroriste. Tout cela se
passe dans un contexte d’une mafia économique et d’un affairisme
politico-militaire alimenté par les pillages à grande échelle d’abondantes
ressources naturelles : minières, forestières, animales et pétrolières.
9. Du
côté du pouvoir politique et de la Communauté Internationale, nous ne pouvons
certes pas dire que ces deux n’ont rien fait pour résoudre ce genre de
problème. Nous reconnaissons en effet les mérites des initiatives et opérations
telles que : la Conférence de Goma, Amani leo, les prouesses des FARDC pour
défaire les forces des M23 avec l’aide de la MONUSCO en novembre 2013,
l’énergie déployée par l’État congolais pour mettre fin au désordre dans
d’autres Provinces du Pays. Nous rendons hommage aux officiers et soldats
congolais ou onusiens qui se sont dévoués ou qui ont versé leur sang pour cette
cause.
10.
Mais curieusement la sécurité, la paix et l’intégrité territoriale ne semblent
pas avoir été prioritaires dans la stratégie des autorités publiques ; elles
constituent pourtant des conditions préalables à tout effort de construction,
de reconstruction et de modernisation. En tout cas, de manière générale, l’État
laisse pourrir la situation à l’Est du Pays. Nous avons des difficultés à
comprendre les ambigüités, les tergiversations et les paradoxes de notre gouvernement.
Après chaque crise, les missions se succèdent en cascade et en vain car les
autorités écoutent mais aucune action concrète ne suit, en réponse aux attentes
pourtant clairement exprimées par la population. Dès lors, nous nous demandons
: face à cette insécurité, le gouvernement serait-il incapable, démissionnaire
ou complice ?
11.
Incapable ? Peut-être ! Et pourtant il a démontré son savoir faire dans
d’autres cas. Par contre, ici il installe des officiers au passé chargé qui ont
causé bien des torts à la population. Ceux-ci sont positionnés à des frontières
sensibles, en face de leurs anciens complices. En outre, ils sont soutenus au
centre du pouvoir congolais par leurs collègues bien connus, placés à des
postes stratégiques. Alors on assiste à un enlisement récurent des conflits aux
frontières. Quand sont ruinées les fondations, que peut faire le juste ? (Ps
10,3).
12.
L’État serait-il démissionnaire et complice ? C’est possible ! Mais alors pour
quelle raison et quel intérêt ? Toujours est-il qu’en situation de crise, on
entend des délégués du pouvoir chercher
à accuser des particuliers, notamment la population locale, les commerçants et
certains politiciens qui sont aux affaires. À supposer que leurs allégations
soient avérées, que fait l’État de l’Armée, de la Police nationale, des
Services de Renseignement et de la Justice qui sont mis à sa disposition pour
assurer sa souveraineté ? En laissant à des individus et des groupes perturber
impunément la paix, l’ordre et la sécurité, cet État, pourtant détenteur du
monopole de la force, s’acquitte-t-il encore de ses obligations régaliennes ?
Ne serait-il pas en train de démissionner tout en restant sur place ? Cela ne
risque-t-il pas d’être vu comme une complicité ? Dans ce contexte, comment les
élections transparentes, libres, démocratiques et apaisées pourront-elles avoir
lieu dans cette partie de la République ? Et si une partie de la population
venait ainsi à être privée de ses droits politiques fondamentaux, ne se
trouvera-telle pas de facto en situation d’exclusion, ce qui est un pas vers la
balkanisation que nous avons déjà décriée1 ?
13. Il
y a pire. Dans ce contexte, les jeunes désœuvrés sans avenir deviennent la
proie facile pour le recrutement des groupes armés y compris ceux gagnés au
fondamentalisme religieux. En effet, dans le massif du Ruwenzori des
groupuscules inoculent l’esprit djihadiste à leurs recrues qu’ils entraînent
ensuite au terrorisme international. Leur base est constituée de ressortissants
de toute sorte de nationalité qui s’établissent dans des camps d’entraînement
appelés Médina, Canada et Parking Kaza Roho. Des jeunes congolais y sont
fraîchement associés, trompés par des recruteurs sans scrupules qui leur
promettent des bourses d’études pour le Moyen Orient, l’Europe ou le Canada.
Pendant ce temps, la Communauté internationale observe avec ses drones !
Faudra-t-il attendre que cet esprit se généralise pour que demain cette même
Communauté Internationale fasse pleuvoir un déluge de feu sur la région sous
prétexte de combattre le djihadisme ?
14.
Nous sommes donc en face de trois périls majeurs qu’un pouvoir responsable ne
peut ignorer : un climat de génocide, un foyer d’intégrisme djihadiste et un
processus de balkanisation. Les jeunes de Butembo-Beni, en nous accueillant, ont
judicieusement cité une phrase d’Abraham Lincoln, ancien président des
États-Unis : « On peut tromper une partie du peuple tout le temps ; tout le
peuple, une partie du temps. Mais pas tout le peuple, tout le temps ». Comme
nous l’avons déjà dit en 2013, en des circonstances semblables, la population
de l’Est a la nette impression de n’être pas protégée par son État et d’être
abandonnée par la Communauté Internationale malgré la présence renforcée mais
nullement rassurante des troupes de la MONUSCO dans le Nord et le Sud Kivu. (1
cf. CENCO, Non à la balkanisation de la RD Congo, Kinshasa le 06 juillet 2012.
)
C.
QUE FAIRE ? Exhortations
Ils
dirent à Pierre et aux apôtres : Frères, que devons-nous faire ? » (Ac 2,37b)
Au Président de la République
15. Que
le Chef de l’Etat se mette face à ses responsabilités régaliennes, qu’il en
fasse le bilan, qu’il pacifie tout le Pays pour l’organisation prochaine des
élections à tous les niveaux et pour tous les citoyens du Pays.
À la
MONUSCO et à la communauté internationale
16. Que
la MONUSCO, qui célèbre le 15ème anniversaire de sa présence en R.D. Congo et
qui pèse lourd sur les contribuables de la planète, s’évalue par rapport à sa
mission de stabilisation pour améliorer son rendement. Nous saisissons cette
occasion pour présenter nos condoléances aux forces tanzaniennes qui ont perdu
deux de leurs Casques-bleu à Kisiki-Beni le 07.05.2015.
Aux
Élus du peuple
17.
Vous êtes élus par le peuple, vous avez reçu mandat de parler en son nom et
vous êtes bien payés par ce même peuple ; chacun de vous perçoit mensuellement
presqu’autant que 169 enseignants de l’école secondaire, autant que 270
militaires ou presqu’autant que 7 professeurs d’Universités. Êtes-vous vraiment
fiers de votre silence sur ces problèmes vitaux de votre peuple, que d’autres
doivent parler à votre place tandis que vous mangez et vous vous taisez ?
Aurez-vous le courage de revenir tranquillement demain pour solliciter à
nouveau la confiance de vos frères et sœurs meurtris par cette situation ?
Aux
leaders des confessions religieuses chrétiennes
18.
Nous vous encourageons à intégrer la dignité humaine dans la prédication de
l’Évangile comme signe de la rédemption de Jésus Christ. Restons
indéfectiblement attachés à notre espérance (He 10,23). Devant tous les
peuples, témoignez de la paix que le Christ Ressuscité apporte au monde : La
paix soit avec vous ! (cf. Jn 20,19.21.26)
Aux
fidèles catholiques
19.
Chers frères et sœurs, nous partageons vos joies, vos espoirs, vos tristesses
et vos angoisses (cf. GS 1). À la clôture de ce mois marial, nous nous confions
à l’intercession de Marie, Mère de Dieu, Mère de l’Église, Mère des hommes et
Étoile de l’espérance. Accueillons l’Esprit Saint, don de Dieu et sous sa
mouvance, laissons-nous purifier pour œuvrer à l’avènement des cieux nouveaux
et d’une terre nouvelle où règneront la paix et la justice (cf. 2P 3,13). Aussi
nous vous exhortons à promouvoir et défendre avec persévérance la dignité de
l’homme créé 6 à l’image et ressemblance de Dieu (cf. Gn 1,26). Dans le monde
vous connaîtrez l’épreuve : courage, j’ai vaincu le monde (Jn 16,33).
Aux
autres croyants
20.
Nous vous invitons à prendre distance de la violence, à cultiver la tolérance
et à intégrer la valeur de la Miséricorde de Dieu, Créateur et Père de toute
l’humanité. Aucune religion ne peut prôner la violence et se déclarer de Dieu
(pape François).
Aux
jeunes, espoir de demain
21.
Fondez votre espérance en Dieu qui ne vous décevra jamais (cf. Rm 5,5).
Cultivez la lucidité chrétienne pour ne pas vous laisser embarquer dans des
aventures sans issues. Ne vous rendez pas complices des malheurs dans lesquels
sont tenus vos frères (Hymne de carême).
Au
peuple congolais
22.
Priez et veillez : la prière est une école de l’espérance (Spe salvi 32). Que
votre prière soit accompagnée d’une vigilance agissante : nous sommes à la
veille des élections, ne vous laissez pas égarer par des aventuriers (cf. He
13,9). Que le Dieu de la patience et de la consolation oriente vos cœurs vers
son amour et la construction de son Royaume (cf. Rm 15,5 ; 2Th 3,5). Nous vous
exhortons à la solidarité pour venir à la rencontre de vos frères et sœurs
éprouvés et démunis. Gardons notre Pays, la R.D. Congo, un et indivisible.
À
vous, frères et sœurs égarés, auteurs de ces crimes odieux
23.
Nous vous rappelons que nous sommes tous frères. Nous vous demandons de cesser
la violence, d’éviter la tentation du gain sans effort et d’arrêter de pactiser
avec l’Ennemi, pour construire ensemble une société plus juste, plus humaine et
plus fraternelle.
Conclusion
24. A
la veille de la Pentecôte, nous invoquons sur vous, fidèles chrétiens, l'esprit
de consolation, de lumière et de force, nous vous confions à l'intercession de
Marie, mère de Dieu, reine de la paix, et nous implorons sur vous tous la
bénédiction de Dieu. Nous vous encourageons vous tous, hommes et femmes de
bonne volonté, à œuvrer pour la promotion des valeurs fondamentales de la
justice, de la fraternité et de la paix qui soutiennent la dignité humaine.
Donné à
Butembo, ce 23 mai, à la veille de la Pentecôte.
+Mgr
MAROY RUSENGO François-Xavier, Archévêque de Bukavu
et
Président de l’ESSEPB.
+Mgr
KABOY RUBONEKA Théophile, Evêque de Goma.
+Mgr
SIKULI PALUKU Melchisédech, Evêque de Butembo-Beni.
+Mgr
Mgr NGU ?BI NGENGELE Willy, Evêque de Kindu.
+Mgr MUYENGO MULOMBE Sébastien-Joseph, Evêque d’Uvira.
+Mgr LUBAMBA NJIBU Placide, Evêque de Kasongo.
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